Monsieur Trudeau,
Il me plaît de croire aux témoignages de vos proches qui vous décrivent comme ayant été un homme sympathique, chaleureux, sincère et capable de compassion. C’est ce qui m’incite à vous faire part de mes impressions et réflexions relatives à votre carrière politique, vos principales réalisations et sur votre attitude dans la poursuite de vos objectifs.
Vous passerez à l’Histoire comme ayant été un combattant acharné du Nationalisme québécois. Je suis souverainiste. Je ne possède pas de formation universitaire et je n’en suis nullement complexé
J’ai foi en votre sincérité d’avoir voulu forger un Canada où les deux peuples fondateurs pourraient vivre en harmonie. La réalité toutefois, résiste toujours à votre rêve. Le projet souverainiste est dans une large part, nourri par la trop évidente réticence des canadiens-anglais à admettre la différence culturelle des Québécois et leur volonté légitime de l’affirmer pleinement.
Je perçois chez l’homme politique que vous fûtes et dans la profondeur de votre conviction, un côté excessif lequel, dû à la force de votre leadership et à votre farouche détermination, vous rendaient à certains moments vulnérable aux dérapages et aux raccourcis.
Vous étiez un politicien brillant, impatient et pressé, oubliant qu’en matière de politique, la ligne droite ne correspond pas toujours au chemin le plus court.
La loi sur les langues officielles, bien que bénéfique pour les francophones hors-Québec, revêt un caractère utopique dans la perspective d’un pays bilingue. Le poids démographique des francophones dans le pays n’étant pas suffisant pour exercer la pression nécessaire à son application de façon logique. Les remous redondants découlant de l’application de la Loi 101 au Québec, donnent un aperçu de la perception que peuvent avoir les anglophones des autres provinces quant à l’utilité de parler français autrement que par exotisme. Je ne peux pas les en blâmer. Quand on veut enrichir sa culture personnelle par l’acquisition d’une autre langue, la motivation politique est exclue. J’ai moi-même appris l’anglais pour des motifs d’ordre économique. Certains membres du Gouvernement fédéral actuel n’ont pas jugé utile de consentir l’effort requis par l’apprentissage du français. Il faudrait leur en demander la raison.
Les Québécois ne sont ni racistes ni xénophobes. Les échanges commerciaux entre le Québec et les autres provinces constituent à mon humble avis, la seule harmonie réaliste entre les deux peuples. Et croyez-moi, quand de tels échanges ont lieu, ils se font habituellement en anglais. Aucune loi, si bien motivée soit-elle, ne peut annihiler les tendances naturelles profondes. La contrainte provoque la résistance et la contestation. On ne fait pas disparaître la fibre fondamentale d’un peuple comme on élimine un virus ou une bactérie, Les exemples de tel irréalisme et de ses effets désastreux tapissent notre planète.
Le comportement humain, qu’il soit individuel ou collectif, n’évolue à peu près pas.
Il y a 2000 ans, pour ne remonter qu’à cette étape de la Civilisation, il y avait la guerre, le génocide, la famine, la pauvreté, la criminalité, le complot, l’emprisonnement et l’assassinat politiques. Après tout ce temps, nous avons encore tout cela malgré que des milliards et des milliards d’êtres humains aient occupé la planète au cours de cette période plus que raisonnable en terme de “ chance au coureur “. Seules, la science et la technologie ont évolué de façon significative. Cependant elles furent détournées trop souvent et utilisées contre l’être humain. Ces détournements ont provoqué l’émergence d’une multitude d’organismes à vocation humanitaire lesquels, s’activant dans le sillage de la bêtise humaine, tentent tant bien que mal de redonner à des millions d’individus chaque année, un peu de leur dignité usurpée. Ces organismes qui représentent à mon avis la seule évolution significative du comportement humain, sont souvent contaminées par la politique.
On cède facilement au constat que rien n’est parfait, ne peut être parfait, justifiant ainsi la médiocrité. Je crois que sur le plan de l’évolution humaine, ces 2000 ans de civilisation n’ont pas été suffisants. Je vous rejoins en ce que vous pensiez que l’Homme peut faire mieux que ce qui a été fait jusqu’à maintenant.
Mais revenons à vous. Le rapatriement de la Constitution constituait une pièce majeure de votre projet “ Canadien “ . Le faire sans l’accord du Québec, démontrait à la face du monde, l’impossibilité de ce Canada dont vous rêviez. Cela faisait aussi état de votre empressement, de votre impatience. Les tentatives ultérieures pour “rapatrier” le Québec, sont venues valider l’irréalisme de votre projet “Canada”. À chaque fois que les Canadiens anglais ont eut l’occasion de se prononcer sur la reconnaissance de la différence québécoise, la réponse fut toujours “NON”. Ils veulent que nous soyons ce que nous ne sommes pas, ne pouvons et ne voulons être. Si nous acceptons de vivre et de composer avec leur réponse, ne devraient-ils pas faire de même avec la nôtre ?
Je suis fier d’appartenir à un peuple patient, tolérant, respectueux et assoiffé de justice et de démocratie. Je suis héritier et fiduciaire d’un patrimoine culturel que m’ont légué des ancêtres nés et morts au Québec depuis près de trois siècles. Ceci n’est pas à vendre. Ceci ne peut être échangé. Ceci ne peut disparaître dans des “ trous” législatifs. Ceci ne peut que s’exprimer. Ceci peut cependant être partagé.
Vous aviez, monsieur Trudeau l’étoffe d’un Chef-d’état. Au Québec, nous avons été chanceux depuis l’après-Duplessis avec nos Premiers ministres. Tous avaient la classe appropriée. Comme Canadien cependant, je déplore le fait que la venue de Premiers ministres de classe, relève de la “loterie”. Je suis exigeant envers les chefs-d’état. Ces hommes et ces femmes qui acceptent de diriger les destinées d’un pays ou d’une province ne sont malheureusement pas toujours à la hauteur du défi. Mais, grisés par le pouvoir et subjugués par leur égo, parfois ils s’accrochent misérablement, apparaissant davantage plus petits face aux intérêts supérieurs de la Nation. Je n’aime pas les politiciens qui veulent passer à l’Histoire.
En ce qui vous concerne, je ne crois pas que vous ayez fait carrière en politique avec comme objectif de passer à l’Histoire. Mais, vous en ferez partie. Personnellement, je ne crois pas que vous étiez fait pour la politique. Vous y êtes venu par défaut ou par devoir, ce qui revient au même. Pour ce faire, vous avez dû porter le masque du comédien, sans quoi, vous n’auriez pu le faire.
J’admire ici, votre courage mais pas l’authenticité. Tout au long des jours qui ont suivi votre disparition, on percevait dans les médias un souci de réhabiliter votre mémoire en ce qui à trait à vos relations avec les citoyens. On ne fait pas une place au temple de la renommée à un politicien qui a laissé aux citoyens l’impression d’être arrogant, prétentieux et snob. Un de vos bons amis, lors de vos funérailles, voulant relever l’inexactitude de cette image a traité d’ignares, je dirais environ 99.999% de la population canadienne. Je fais partie de ces ignares parce que je vous trouvais aussi arrogant et prétentieux et parce que vous m’apparaissiez passablement loin des réalités du monde ordinaire. Mais j’ignorais que vous portiez un masque, je savais que vous étiez très brillant et sensible. J’aurais mis ma main au feu cependant, que vous étiez arrogant. Quand on a affaire à un idéaliste, il est difficile de dissocier l’homme du politicien. C’est sur la foi des témoignages de vos proches que j’ai appris à mieux vous connaître. J’en déduis que vous aviez, en tant que politicien, un sérieux problème de communication.
Dans le sillage du rapatriement de la constitution, la charte des droits modernisera la société canadienne. Elle constitue une pièce maîtresse de votre œuvre. Témoignant d’un aspect excessif cependant, elle a fait en sorte que par exemple, les trafiquants de drogues font la pluie et le beau temps au pays, générant dans la violence extrême, des coûts sociaux dépassant largement de par leur importance en dollars et en détresse humaine, ceux engendrés par d’autres tares sociales qui font cependant l’objet d’une attention constante de la part des politiciens et ce, pour des motivations souvent électoralistes. Sans leurs électeurs, les politiciens ne sont qu’illusions. La charte assure le droit d’expression. Après votre retraite de la politique, peut-être vous sentiez-vous prisonnier de votre image, toujours est-il que vous êtes intervenu de façon tapageuse à plusieurs reprises à des étapes controversées du dossier constitutionnel. Pourquoi ais-je toujours eu une profonde aversion pour ces hommes et femmes influents qui, ayant acquis une forte crédibilité au cours d’une brillante carrière politique ou autre, viennent dans un débat, mêler les cartes et retournent à leurs pantoufles sans avoir de comptes à rendre ? Tout ignare que je suis, j’attribue pareil comportement au complexe de la “Star” qui ressent le besoin en revenant sous les projecteurs de prendre le pouls de sa popularité, Je pense ainsi des interventions des Pariseau, Mulroney, Ryan ainsi que tous ceux qui feront dans l’avenir, leur “ tournée d’adieux “ à plusieurs reprises.
La proclamation de la loi sur les mesures de guerre me semble correspondre à ce côté excessif de votre tempérament dont je parlais plus-haut. Vous m’avez laissé l’impression que constatant le manque de sang-froid de messieurs Bourassa et Drapeau, vous ayez cédé à l’opportunisme politique, toujours motivé par votre profonde conviction d’un Canada indivisible à tout prix..
Vous aurez été une école de la lutte au Nationalisme québécois. De nombreux diplômés de cette école vous survivent et poursuivent la croisade. S’il y a problème au Canada, le Québec en est le bouc-émissaire et non l’auteur. Pourquoi vos héritiers politiques s’acharnent-ils sur le Québec et ne dépensent pas plus d’énergies à “prêcher” au Canada anglais ? Peut-être que comme moi, ils ont compris depuis longtemps que cela ne servirait à rien ? La lutte au Nationalisme n’est pas demeurée que politique. Depuis plusieurs années, je perçois comme un accord tacite entre les grands décideurs économiques du Canada et, dans une moindre mesure, des Etats-Unis afin de garder le Québec sous-développé économiquement par rapport à ce qu’il serait permis d’espérer en période de croissance économique soutenue. Le cheminement de nombreux dossiers économiques des dernières années, témoigne de la politisation du développement économique au Québec. La partisannerie politique divise le monde et quelque part au Canada, ils s’en trouvent qui croient pouvoir réaliser l’union par la division. Pas très fort.
L’actuel Premier ministre, monsieur Chrétien, vient de s’asseoir à une table d’échecs.
N’étant pas doté des attributs intellectuels auxquels vous nous aviez habitués, il perdra.
En déplaçant une de ses pièces de la case Washington à la case Paris, faisant ainsi échec au Roi Chirac, il révèle sa stratégie. La France baillonnée, la partie ne fait que commencer. Il perdra parce que les Québécois, toutes tendances politiques confondues, sont fiers, dignes, courageux, solidaires et profondément démocrates. Nous avons de plus, depuis le temps, une expérience valable des abandons de la mère-patrie. S’il est bien de savoir lire entre les lignes, il faut savoir écouter entre les mots. Les silences sont pleins de mots. Nous entrerons prochainement en campagne électorale au Canada. Pourquoi si tôt ? se demandait un éditorialiste de votre école. Il sera beaucoup question de vous dans cette campagne. On a même rebaptisé une montagne en votre honneur. Vous aurez vraiment tout eu. Très respectueusement, à votre place je me méfierais, une montagne rebaptisée pourrait l’être à nouveau. La fidélité des Canadiens envers la mémoire de leurs disparus semble pour le moins fragile. Le Québec ayant fait ses devoirs, je crois que la pression de cette campagne s’exerce sur le Canada anglais. Votre souvenir inspirera les fédéralistes mais ne pourra modifier la réalité québécoise.
Monsieur Trudeau, je vous le dis comme je le pense et l’ai toujours pensé. Il m’importe peu de savoir quel sera le portrait politique du Canada dans 10, 20 ou 50 ans. La seule restriction que j’y mets : Pourvu que ce soit le résultat d’un processus démocratique. Or, certains politiciens réalisant que la démocratie risque de ne pas favoriser leur option, n’hésitent pas à torpiller le processus, orientant le résultat dans le sens de leurs intérêts partisans. Pour faire cela, il faut le pouvoir. Mais le pouvoir nécessite la sagesse sans quoi, la démocratie est affaiblie. La crédibilité des institutions constitue ” le phare” pour les citoyens. La politique, ce n’est pas si compliqué que ça. Ce sont les politiciens qui la compliquent. Il en va ainsi de la Justice que les juges et avocats s’acharnent à compliquer. C’est ce qui fait que dans les deux cas, la confiance des citoyens est à « maréebasse ». ( Je suis gaspésien d’origine) La tête dans le sable, on continue et on continuera, n’hésitant pas, au besoin, à tronquer le processus démocratique.
Votre passage sur la scène politique canadienne n’y ayant rien changé, je vous dis aujourd’hui, ce que j’aurais pu vous dire il y a trente ans : Si demain, le Québec pouvait m’accorder la citoyenneté, je renoncerais sans hésitation à ma citoyenneté canadienne. Je ne suis ni xénophobe, ni raciste, j’aime les anglophones et je suis ouvert à tout ce qui n’est pas québécois. J’aime aussi les montagnes Rocheuses. Mon peuple c’est le peuple Québécois . Le territoire de ce peuple c’est le territoire du Québec, terre immense où vivent en paix, fils des Premières Nations, Québécois d’origine francophone et anglophone, immigrants de toutes origines. Peuple travailleur, honnête et hospitalier, il est ouvert sur le monde à qui il a à offrir sa différence. Une province francophone qui témoigne d’un profond respect envers ses minorités culturelles. J’en suis très fier. Personne de ce pays ou d’ailleurs, n’arrivera à nous diminuer. Trop de chemin parcouru.
J’espère ne pas vous avoir trop ennuyé avec mes propos. Bien que ce soit de votre faute si j’ai senti le besoin de vous écrire. Je garderai de vous, le souvenir d’un homme que je n’ai pas connu finalement. L’homme attachant, chaleureux, attentionné, capable d’aimer, de rire et pleurer. Le coureur des bois. Le père profondément blessé par la disparition tragique d’un fils bien-aimé.
Pour l’homme démasqué, je prierai.